- Albert le Grand et Saint Thomas
- Albert le Grand (1206-1280) et saint Thomas (1227-1274)Albert le Grand et saint Thomas ont tous deux étudié en Italie, en des milieux où, sous l’impulsion de Frédéric II, celui que les Franciscains traitaient de « roi de pestilence » et d’« antéchrist », se développait l’étude de la science arabe, Albert à Padoue, vers 1223, saint Thomas d’Aquin à Naples, où il entendit avant 1243 les leçons d’un maître ès arts averroïste, Pierre d’Irlande. Albert entre en 1223 dans l’ordre des Dominicains et saint Thomas vingt ans plus tard, en 1243 ; les deux hommes se rencontrent à Paris, où Albert, après avoir enseigné en Allemagne entre 1228 et 1245, devient à cette date maître de théologie à l’Université de Paris jusqu’à 1248 ; saint Thomas y fut son élève pendant ces trois années. A cette époque, les écrits d’Albert paraissent avoir été purement théologiques ; il composa, en effet, la Summa de creaturis, ainsi que le Commentaire des Sentences vers l’époque de son séjour à Paris ; la Summa theologiae, qui est inachevée, appartient à sa vieillesse (1274) (il mourut en 1280) ; ses paraphrases sur Denys l’Aréopagite, sur le livre Des causes et sur les œuvres d’Aristote (Physique, Du ciel, l’Organon, les livres Sur l’âme), ainsi que son De unitate intellectus contra Averroistas (1256) ont été écrits dans l’intervalle. Grabmann a, en outre, découvert des fragments encore inédits de la Summa de creaturis, une Summa de bono sive de virtutibus, de sacramentis et de resurrectione, qui fait partie de la Summa de creaturis. Mais saint Thomas suivit son maître à Cologne, d’où il ne revint qu’en 1252 à Paris, pour y rester jusqu’en 1259 ; en 1259, nouvelle rencontre entre Albert, devenu provincial de l’ordre en Allemagne, et saint Thomas, pour déterminer un programme d’études dans l’ordre des Dominicains. Albert avait dès ce moment écrit son traité contre l’erreur des Arabes sur l’unité de l’intellect (en 1256) ; de cette période est sa réponse au pamphlet de Guillaume de Saint-Amour ; elle est à peu près de même date que le Contra impugnantes Dei cultum, où saint Thomas s’oppose au même adversaire. Saint Thomas, qui avait commencé à Paris par des œuvres surtout théologiques : le Commentaire des Sentences, le De ente, le De veritate, fait un long séjour en Italie, de 1259 à 1268, où il entreprend, comme Albert, un commentaire général des œuvres d’Aristote, avec l’aide de l’helléniste Guillaume de Mœrbeke [De l’interprétation, Analytiques postérieurs, Physique, Métaphysique (douze livres), Éthique, De l’âme, Météores, De coelo I à III, De generatione, Politique]. Ses œuvres théologiques se poursuivent dans la même période avec la Somme contre les Gentils (1259-1260) et le début de la Somme théologique (en 1265), qu’il continue pendant tout le séjour qu’il fit à Paris comme maître de théologie à l’Université, de 1268 à 1272 ; il laissa la Somme inachevée en 1273. Dans ce séjour à Paris, il écrit, comme Albert en 1256, un traité contre la théorie arabe de l’unité de l’intellect, mais, semble-t-il, contre des adversaires assez différents de ceux d’Albert, qui étaient plutôt des avicenniens, tandis qu’il vise l’averroïsme proprement dit, qui se développa à Paris entre 1266 et 1270 ; mais il combat aussi les Augustiniens dans le Contra murmurantes. Saint Thomas meurt en 1274. Albert le Grand, qui, après s’être démis de l’évêché de Ratisbonne qu’il occupa de 1260 à 1262 et après avoir refusé le poste de chancelier à l’Université de Paris, enseigne à Cologne depuis 1270, lui survit encore pendant six ans, assez pour s’efforcer de réhabiliter saint Thomas, en 1277, lorsqu’il fut condamné par l’évêque de Paris, sous l’influence du Franciscain Jean Peckham.On voit l’étroite union des œuvres des grands Dominicains ; pour l’un comme pour l’autre, Aristote est le « Philosophe » dont il s’agit, comme le dit Albert au début de son Commentaire de la Physique, de rendre « les idées intelligibles aux Latins » ; l’un et l’autre sont cités par le Franciscain Roger Bacon parmi les principaux philosophes, et il ajoute qu’Albert a, de son vivant, une autorité qui n’est comparable à celle de nul autre.
Philosophie du Moyen Age. E. Bréhier. 1949.